FED : 5 années de soutien exceptionnel à l’économie mondiale. Partie 1

 Par Guillaume Adjogah

Qu’a fait la FED ? Comment ? Pourquoi ?

Partie 1 : le Quantitative Easing

La nouvelle en a surpris plus d’un. Alors que tout le monde s’attendait à voir la FED annoncer un retrait progressif de son plan de rachat d’actifs le 18 septembre dernier, cette dernière en a finalement décidé autrement. D’après son président, Ben Bernanke, l’économie américaine n’est pas encore assez forte pour voir ne serait-ce que la réduction du 3ème volet de l’assouplissement quantitatif.

L’assouplissement quantitatif (ou Quantitative Easing, QE, en anglais) c’est le mécanisme consistant au rachat d’actifs financiers par la FED afin de maintenir artificiellement le niveau d’activité économique. Les actifs rachetés sont de deux types : les bons du Trésor américain (de la dette souveraine) d’une part et, d’autre part, les produits issus de l’industrie de la titrisation adossés à des prêts hypothécaires et conçus par les fameuses « Government Sponsored Enterprises », Fannie Mae et Freddie Mac.

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En fait, l’idée sous-jacente au QE est la loi de l’offre et de la demande. Essayons de comprendre. En période de crise, les investisseurs perdent confiance dans les entreprises et refusent d’acheter de la dette d’entreprise. Ils se tournent alors vers la dette souveraine qui est sensée être plus sûre. Les taux d’intérêts montent mais, jusque là, rien de catastrophique. Cependant en période de crise violente comme nous en avons connu en 2008, les investisseurs ont également peur d’acheter cette dette souveraine car ils se demandent si l’Etat lui-même pourra s’acquitter de ses obligations. Dans ce cas, les taux s’envolent car les investisseurs n’achètent plus aucune dette et les entreprises comme l’Etat sont obligés d’offrir plus s’ils veulent que leur dette trouve preneur. Il y a moins de demande pour une offre identique, donc la valeur de la dette diminue et, si sa valeur diminue, cela signifie que les investisseurs devront être mieux rémunérés à travers les taux d’intérêt afin de compenser cette baisse.

Cette situation est catastrophique pour les entreprises et pour l’Etat qui, ayant déjà fort à faire avec une situation macro-économique difficile, doivent également payer plus pour pouvoir continuer à emprunter. Afin d’éviter que les emprunteurs sur les marchés obligataires ne soient obligés d’offrir des taux prohibitifs aux investisseurs (et ne puissent finalement plus emprunter, ce qui gripperait l’économie), la FED a donc mis en place le QE. En rachetant des obligations d’Etat, elle participe alors à la demande, ce qui permet de limiter mécaniquement la hausse des taux. Le QE a également un effet psychologique car il donne confiance dans la qualité des titres échangés. Si la FED elle-même rachète des actifs, c’est qu’ils ne sont pas si risqués que ça.

L’intérêt du QE pour la FED est de pouvoir agir sur l’économie américaine sans que le taux d’inflation n’augmente. En effet, pour acheter les actifs financiers, celle-ci créé de l’argent (la planche à billets) mais cette masse d’argent supplémentaire se retrouve immédiatement stockée dans le bilan de la Réserve et la masse d’argent disponible dans l’économie reste donc la même, d’où une inflation stable.

Depuis 2008, trois programmes d’assouplissement quantitatif se sont succédés. En novembre 2008, deux mois après la faillite de Lehman Brothers et alors que l’économie mondiale sombre dans la tourmente, le QE1 est lancé avec pour objectif l’achat de 500 milliards de dollars d’obligations hypothécaires et 100 milliards de dette. Ce programme prend fin en mars 2010. Dès novembre 2010, le QE2 est mis en place. La FED achètera 600 milliards de dollars en bons du Trésor sur 8 mois (fin de ce second programme en juin 2011). En septembre 2012, la croissance se fait attendre, les résultats des deux premiers programmes ne sont pas au rendez-vous, notamment en matière d’emploi. La Réserve sort alors son bazooka : l’achat illimité de 40 milliards de dollars (pour commencer) d’obligations hypothécaires par mois, jusqu’à ce que « la situation de l’emploi s’améliore ». Le montant des achats est porté à 85 milliards en décembre 2012 et inclut également des bons du Trésor.

Cette politique d’argent facile n’est pourtant pas sans risque. En premier lieu, elle a fait exploser le bilan de la FED qui atteindra, les 4000 milliards de dollars d’ici fin 2013 (un quart du PIB du pays !). Espérons que l’institution qui, rappelons-le, est privée, ne fera jamais faillite… De plus, un tel niveau d’endettement réduit considérablement sa marge de manoeuvre en cas de nouvelle crise. Enfin, les investisseurs se sont habitués à un certain niveau de croissance économique qui est artificiellement maintenue grâce à ces achats.

Lorsque le troisième volet du programme a été mis en place, l’économie était sensée devenir suffisamment vigoureuse pour s’y substituer. Après 5 années de stimulus intensif, force est de constater que ce n’est toujours pas le cas. Impossible, en l’état actuel des choses, de mettre fin au programme d’assouplissement quantitatif qui, mois après mois, voit le bilan de la Réserve augmenter de 85 milliards de dollars (plus de 1000 milliards par an !). La FED est embourbée dans une stratégie dont Ben Bernanke semble être pris au piège et l’économie mondiale se retrouve avec, au-dessus de sa tête, une épée de Damoclès qui, si elle venait à tomber, pourrait nous renvoyer en 2008, mais en pire. Rappelons que lorsque Lehman Brothers a fait faillite, les échanges de billets de trésorerie sur le marché monétaire (money market) ont été quasi nuls les jours qui ont suivi. L’argent ne circulait plus et cela a eu un effet très néfaste sur l’économie réelle, notamment les grandes entreprises industrielles qui se sont retrouvées à court de cash et ont frôlé le dépôt de bilan. La dette à court terme permet aux entreprises de payer les salaires, les fournisseurs, de financer l’activité économique au quotidien. Pour prendre la mesure de ce que l’arrêt des échanges sur ce marché signifie, il faut s’imaginer un corps humain dont le coeur s’arrête de battre, n’envoyant plus de sang dans les autres organes. Inutile de préciser que la mort survient très rapidement.

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